25.12.06

ECOLE TAMMARI




par Sénamé Koffi AGBODJINOU.
Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Paris La Villette.



Dans le nord du Togo, voici une démarche architecturale qui allie réactualisation et valorisation du vernaculaire, implication communautaire et préocupations constructives écologique et économique...

PROJET DE CONSTRUCTION D’UNE ECOLE PRIMAIRE EN TERRE
PAYS TAMBERMA(Patrimoine Mondial de l'UNESCO)/ 2006


Complexe scolaire:4 salles de classes, administration, préau, bibliothèque, commodités


NOTE:

_l’« habitation » tamberma

L’être au monde
Les mortels habitent alors qu’ils sauvent la terre
Martin HEIDEGGER

Le Tamberma ne construit pas, il bâtit.
La philosophie de l’Habiter dans laquelle se manifeste le « bâtir » (Bauen), est, au sens heideggérien du terme, l’aménagement d’un séjour. Et « aménager un séjour », c’est : « prendre soin » (de l’être).
Le Tamberma est attentif au monde et aide le monde à être attentif à lui. Une approche qui se consomme jusque dans une mimésis aux « choses laissées libres ». Il est le monde et le monde est lui. Il est dans tout et tout est en lui.
Si donc, pour Heidegger « habiter » c’est « prendre soin », il est indiscutable que :
l’être au monde tamberma est une « habitation » du monde. Un acte bâtisseur…

L’édifice
Bâtir est édifier des lieux, qui « ménagent » une place au Quadriparti
Martin HEIDEGGER

Rien, mieux que l’architecture tamberma n’illustre cela.
Elle admet le Quadriparti, le réunit et l’installe :« sauver la terre, accueillir le ciel, attendre les divins, conduire les mortels »
L’omniprésence du matériau terre, les figures du ciel et de l’eau, l’incessante référence au sacré et le subtil traitement anthropomorphique, nous renvoient à la complétude que finit de clore, admirablement, le cercle.
Un « quadruple ménagement » qui est aussi « l’être simple de l’habitation ».
Ainsi, le Tata, de la relation de l’homme et de l’espace ne fait rien d’autre que :« l’habitation pensée dans son être ».

_L’école
Habiter, être mis en sûreté, veut dire :
rester enclos dans ce qui nous est parent,
c’est-à-dire dans ce qui est libre

Martin HEIDEGGER

En Afrique, dans la société de tradition, l’école a généralement dans la perception villageoise, figure de fissure. C’est La chose de l’extérieur à laquelle il faut confier les enfants. Elle a quelque chose d’« étranger ». Il s’agit de la démystifier, de la rendre banale. De la rendre normale. L’école : non plus une " fenêtre sur l’Occident" , un trou, mais un espace clos sur soi. Pour se découvrir (en découvrant l’Autre et le monde). Eviter donc, l'aspect institutionnel de l'école qui crée une barrière psychologique entre elle et les villageois. De fait, l’école doit être tamberma. On ne doit pas en parler. Elle doit venir de l’intérieur. Elle doit être transparente. Un « déjà là. » Il s’agit d’être humble. De garder le silence…

_Le parti pris esthétique
Nous assumons le face-à-face Terre/Béton. Il faut qu’ils se parlent. Que la courbe questionne la ligne droite. La beauté toute de sensualité de la terre et le fier hiératisme du béton, communiant dans l’acte poétique. Pathos et froideur. Mâle et femelle. Tout cela est africain. Ici, le référent moderne (le béton) aura statut de vestige, de trace…, comme recouverte, parasitée par la terre qui, elle, est actuelle . Entre les deux, la terre stabilisée (éco-béton), matérialisée dans la clôture, fait le grand écart; reliant (arbitrant ?) la nature et l’artifice.

_L’architecture de la signature
« Signer » l’espace et le temps. Annuler le vide.
Dans ce lieu, on n’est pas nulle part. On n’est pas ailleurs. On est en pays tamberma au XXIème siècle.
C’est une architecture qui situe et qui assume. Le Koutammankou est désormais "marqué".

_Une éthique…
… constituer à un peuple un patrimoine, son patrimoine à lui
De beauté, de force, d’assurance. Je ne vois pas d’œuvre plus digne
« paraclet », celui qui le hélant appelle un peuple à sa limite
le réveillant à sa force occulte !

Aimé CESAIRE (La tragédie du Roi Christophe)

Valoriser un patrimoine c’est donner au peuple, un motif de fierté. C’est l’amener à croire en lui. Il s’agissait pour nous, pour employer le terme de Césaire, d’en exiger « quelque chose d’impossible .» « Un patrimoine d’énergie et d’orgueil.» Le projet a été conçu comme un exemple pouvant faire prendre conscience à la communauté des mérites de ses modes originaux d’exister.

_Descriptif sommaire du projet

Conçu pour un effectif de 200 enfants en cours primaire et préscolaire.
Complexe scolaire : 4 salles de classes, bureaux, bibliothèque, préau, latrines écologiques. En milieu rural et s’inspirant d’une architecture vernaculaire de premier rang.
L’implantation de l’enceinte est faite de façon à ne pas briser la continuité physique, architecturale et écologique du milieu.
Le choix des composantes du système constructif est dicté par les contraintes locales tout en intégrant les techniques contemporaines de construction.
Le bâtiment d’administration construit en terre par la communauté même, est renforcé par une structure en poteau-poutres béton. « Visage » de la façade principale, cet impressionnant édifice en forme de tata tronqué qui héberge les bureaux, est un signal fort qui marque le lieu. La référence à l’architecture locale y est complètement assumée.
Les deux modules de locaux de classes disposés aux « flancs » de l’ensemble, sont la sécrétion d’une extrême économie d’effets. Dépouillés et robustes, ils sont construits avec des techniques d’agencement modernes.
Le préau, outre le fait de fournir en permanence un grand abri que ne manqueront pas de s’approprier les enfants, peut occasionnellement être transformé en lieu d’activités diversifiées : réfectoire, espace d’expression scénique (festival des arts et cultures tamberma en prévision), lieu de projection télévisuelle, etc. Son caractère « décloisonné » permet un nombre varié d’affectations. Il pourra aussi, si l’urgence le dicte, être converti en espace de cours.
Les 4 entités sont réunies de façon à définir un « cœur » convivial, et leur combinaison à l’intérieur de l’enceinte circulaire de 40m de diamètre crée des espaces libres qui pourront être aménagés pour servir de prolongement des classes, de jardins scolaires, d’îlots de culture et de démonstration, d’aires de travaux expérimentaux, ou au besoin accueillir de nouveaux locaux. Deux volumes indépendants (filles et garçons) hébergeant des latrines écologiques dont la configuration est adaptée aux formes locales, y ont d’ores et déjà trouvé emplacement.
Les larges toitures terrasses débordantes, constituent un élément primordial du projet, qui ancre encore plus l’ouvrage dans l’esprit de l’édifice tamberma (la terrasse étant à la fois l’élément caractéristique du Tata, et un espace de vie sans équivalent). Ces plates-formes en devenant accessibles offriront une remarquable aire de détente, et pourront servir d’espace de lecture ou d’exposition dans la mesure ou les bâtiments en prévision verraient le jour.
L’insertion harmonieuse dans le site est assurée par la discrétion du tout. Un discours qui ne rentre pas en contradiction avec la "massivité " des bâtiments. D’une assise très animiste…


_Importance du projet

Le contexte culturel traditionnel tamberma est classé patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 2003 pour une grande part du fait de son identité architecturale. La présente intervention a tenu à lui rendre hommage tout en faisant œuvre de sens.
La région, ciblée par les programmes de l’UNICEF et de l’Union Européenne comme étant une « zone d’intervention prioritaire », acquiert avec ce projet, un équipement éducatif pertinent. Mais la dimension éthique de l’ensemble est surtout manifeste dans la tentative de réponse à la double problématique de conservation et de Haute Qualité Environnementale. Il ne s’agit donc pas seulement d’un monument auguste en l’honneur de l’architecture tamberma, mais d’un édifice résolument contemporain aspirant à offrir des qualités de confort, d’usage et de vie acceptables.

La préoccupation de développement durable
En plus de chercher à valoriser un objet culturel relativement menacé, le projet est une tentative de construction à faible coût qui se propose de mettre à contribution des dynamiques locales. L’économie générale est recherchée dans le recours prioritaire à des matériaux disponibles et aux techniques indigènes.
Nous avons donc privilégié des matériaux naturels modestes (terre, bois, paille etc. jusque dans les travaux de revêtement : décoctions de néré, karité, etc.) et des matériaux « modernes » adaptés présentant le moindre risque, comme la terre stabilisée. L’« écobéton », matériau d’avenir en Afrique pour ses qualités économiques, écologiques, esthétiques et de confort, demande, dans les différentes phases de la mise en œuvre, une certaine rigueur et une réelle scientificité. Nous nous sommes adressé à des spécialistes pour l’évaluation de la terre, le dosage, le suivi de la production des briquettes et l’exécution des ouvrages dans le respect strict des règles de l’art.
La préoccupation bioclimatique est manifeste dans les choix de matériaux mais aussi dans les choix formels et d’agencement. Nous parlons bien ici de ce que André Ravéreau appellait : « l’intelligence des formes ».
Souhaitant, dans une perspective plus élargie de Haute Qualité Environnementale, prendre en charge les questions d’assainissement, nous avons tenu à doter l’établissement d’un ensemble de commodités à portée écologique. Les latrines, conçues sur le modèle « Ecosan », constituent un garantie de réduction des nuisances et de prévention des maladies généralement liées à la négligence des règles d’hygiène et excellent dans le traitement et la réutilisation en agriculture des déchets solides et liquides. Le CREPA intervient pour la fourniture d’un ensemble d’infrastructures d’assainissement (urinoirs, lave-mains, points d’eau), la formation, l’assistance à l’installation des équipements d’assainissement et pour les toutes premières opérations de sensibilisation et d’éducation à l’hygiène en milieu scolaire.
Mais, bien plus que les dimensions économique et écologique, c’est l’aspect social qui dans ce projet se révèle le plus marquant.


Construire avec le peuple
Le rêve de Hassan FATHY. Une nécessité Tout geste qui s’inscrit dans une configuration admise comme haute manifestation de l’esprit et de l’expression humaine, doit être mûrement réfléchi pour en rester respectueux. Quoi de mieux alors, que du génie et des forces locales, d’en faire le moteur, surtout quand, comme dans le cas présent, il s’agit d’un équipement communautaire réclamé par elles mêmes. Nous avons donc tenu à faire construire une partie de l’édifice (l’administration) par les villageois eux-mêmes. Ils ont la responsabilité de son entretien et cela participe de l’appropriation continuée du projet. L’implication de la communauté étant totale, le projet travaille à faire tomber les réticences habituelles envers l’école.
Nous assurons aussi dans le cadre de cette unique expérience, la transmission des savoirs, l’éveil et la sensibilisation de la communauté à la pertinence de ses acquis.
Il s’agit aussi ici, de la recherche d’une utilisation contemporaine d’un langage traditionnel. Œuvre d’actualisation donc, de détournement aussi, mais surtout de préservation.


La question du patrimoine
Le projet a l’ambition de montrer que des savoir-faire traditionnels peuvent être adaptés à un usage dit moderne. Nous sommes persuadé, que c’est là le véritable garant d’une réelle préservation. Celle qui prend d’évidentes libertés avec l’esprit muséificateur, qui sur le terrain montre certaines limites et entre en franc conflit avec la notion de "Biens Sociaux et Humains que l’UNESCO depuis 1999 a intégré à l’ensemble des biens patrimoniaux à préserver. Nous touchons là du doigt, la problématique de la conservation du patrimoine immobilier habité.
Notre démarche implique donc une évolution. Aussi, la construction de l’Ecole primaire publique de Koulangou participe, de la très souhaitable évolution d’une corporation de maçons traditionnels vers une corps professionnel de bâtisseurs tammari et d’une volonté de documentation permettant de passer d’un ensemble connaissances non écrits vers un savoir documenté et scientifique.





Photos du chantier:

















































DONNEES DU PROJET:

Situation:
Koulangou, pays tamberma, TOGO, Afrique de l’Ouest
Site Koutammankou, Patrimoine mondial de l’UNESCO
Surface de la construction:
environ 1200 m2
Budget:
50 000 euros

Bénéficiaire:
La communauté du village de Koulangou, Togo

Initiative/ Maîtrise d’Ouvrage:
Lucille REYBOZ
Financement:
Fondation Barbier-Mueller

Projet architectural/Maîtrise d’Oeuvre/Conduite de Chantier:
Sénamé Koffi AGBODJINOU
Conception 3D: François Johannes CODJO

Artisan:
Pierre N’KOUE, Maître maçon
Entreprise:
ENTROTA Togo
Consultants:
CREPA Centre Régional pour l’Eau Potable et l’Assainissement,
(Expertise assainissement écologique en milieu scolaire)
CCL Centre de Construction de Lomé,
(Expertise matériaux locaux améliorés)
CRATerre - Programme AFRICA 2009,
(Questions du patrimoine)


Publication : D'Architectures n° 159 Novembre 2006 Dossier " L’engagement humanitaire par l’architecture "

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour!!
je trouve ce projet très interessant! dans la mesure où l'on trouve un équilibre entre la tradition togolaise et la conception d'une école qui répond aux besoins et aux normes actuelles .l'architecte a su tirer profit des atouts de la région .
Bravo!!
Etudiante à l'école nationale d'architecture de rabat , Maroc

foobe Barbe a dit…

The world asks for more architects with your consciousness and sense of evolution...

shinraiko a dit…

est-ce que le toit des classes est resté en béton ? Car avec le soleil il doit faire très chaud .

Anonyme a dit…

je suis natif de koulangou,ce projet a été un salut pour tous le village, mais cette école manque actuellement d'entretien,de livres, d'eau potable merci pour les bonnes volontés qui voudront apporter un soutien de quelque nature que ce soit d' avoir toute information au mail suivant tatchindammanuel@yahoo.FR